Chère Michèle Mercier,

Je suis très heureux de vous recevoir ce soir au Ministère de la culture et de la communication pour vous témoigner, non seulement mon admiration personnelle, partagée par les amoureux de cinéma et de théâtre, mais aussi la reconnaissance de la République française pour votre talent et votre contribution au rayonnement international de la culture française.
La danse a été votre premier amour. Dès neuf ans, vous étiez déjà petit rat à l’Opéra de Nice, avant d’intégrer, sept ans plus tard, les Ballets de la Tour Eiffel, à Paris. C’est sans doute cet art qui vous a donné la grâce, la sensualité et l’élégance qui vous ont conquis les plus grands réalisateurs.

Maurice Chevalier, pour lequel vous jouez un rôle, dès l’âge de 15 ans, dans J’avais sept filles, vous prédit une carrière pleine de succès. Vous ne le démentirez pas.

Aux studios de la Victorine, vous rencontrez un jour Michel Audiard et Denys de La Patellière. Le premier avait écrit pour le second Retour de manivelle, et ils cherchaient encore une actrice pour le rôle de la jolie Jeanne. Vous êtes engagée, à 16 ans, pour tourner aux côtés de Michèle Morgan et de Daniel Gélin. C’est ainsi que la danseuse Jocelyne Mercier fait ses premiers pas d’actrice sous le nom de Michèle, qui vous a porté chance, puisqu’il vous a élevé au firmament du cinéma.

Vous donnez dès lors la réplique aux plus grands acteurs et tournez avec les plus grands réalisateurs : François Truffaut, dans Tirez sur le pianiste, avec Charles Aznavour en 1960, Jean-Pierre Melville dans L’aîné des Ferchaux en 1963, avec Jean-Paul Belmondo et Charles Vanel, que vous retrouvez dans Symphonie pour un massacre de Jacques Deray, avec également Michel Auclair. Denys de La Patellière vous offre de nouveaux grand rôles, en 1965, dans Le tonnerre de Dieu, avec Jean Gabin et Robert Hossein, puis l’année suivante dans Soleil noir, où vous retrouvez Daniel Gélin.

Vous devenez très rapidement une vedette internationale et tournez avec de grands réalisateurs italiens : Franco Rossi pour Haute infidélité, avec Nino Manfredi en 1963, Dino Risi, pour Il giovedi et Les Monstres, la même année, dans lequel jouaient également Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi, Mario Monicelli pour Casanova, en 1964, dans lequel vous donnez la réplique à l’immense Marcello Mastroianni.


Votre gloire vous fait même traverser l’Atlantique : dès 1961, Anatole Litvak vous offre un rôle dans Aimez-vous Brahms?, avec Yves Montand, Ingrid Bergman et Anthony Perkins. En 1970, vous jouez Aila, dans Les Baroudeurs, de Peter Collinson, aux côtés de trois géants du cinéma américain, Charles Bronson, Patrick Magee et Tony Curtis. Deux ans plus tard, c’est à Charlton Heston que vous donnez la réplique dans L’Appel de la forêt, de Ken Annakin.


Je ne peux ici citer la liste exceptionnelle des réalisateurs et des acteurs avec qui vous avez tourné, des plus grands noms d’Hollywood jusqu’aux talents les plus emblématiques de la Nouvelle Vague.

Si les spectateurs vous ont adulée sous les traits de la Marquise des Anges, qui a assis votre renommée internationale, votre carrière exceptionnelle ne peut, nous le savons tous, se résumer aux mythiques Angélique, en dépit de leur immense popularité. « Je ne suis pas Angélique » avez-vous intitulé votre autobiographie parue en 2002.

Mais votre incarnation de cette femme, libre, sensuelle, combative, de cette héroïne romanesque, passionnée, vibrante, a marqué profondément l’esprit du public. Le personnage d’Anne et Serge Golon avait déjà connu un énorme succès en librairie, vous lui avez offert cinq triomphes au cinéma, sous la direction de Bernard Borderie, aux côtés de Robert Hossein, mais aussi de Claude Giraud, Jean Rochefort et Jean-Louis Trintignant.

« Ce personnage, c’est moi, il me convient parfaitement, je n’ai pas l’impression de jouer », avez-vous dit. Peut-être est-ce pour cette raison que le public vous a instinctivement érigée au rang de mythe, en même temps que l’héroïne que vous incarniez ? Peut-être est-ce pour cette raison que parmi les innombrables lettres d’admirateurs que vous receviez alors – et que vous recevez encore – certaines ne portaient parfois que la mention « Angélique, Marquise des Anges, Versailles » ? Pour le public, qui vous a témoigné un amour, une admiration, une dévotion exceptionnels, vous étiez et vous resterez longtemps – un peu trop peut-être selon vous – cette Angélique légendaire, fière et belle à mourir.

Passionnée et volontaire, vous vous affichez aujourd’hui avec les jeunes talents de la nouvelle vague du cinéma français, et notamment Sophie Blondy, qui vous a récemment dirigée dans le Conte d’Isis.


Je suis très heureux d’honorer ce soir une grande dame du cinéma français, une actrice culte, au destin exceptionnel, qui a recueilli l’amour de tous les spectateurs et porté le cinéma français par-delà les frontières et les Océans.

Chère Michèle Mercier, au nom de la République, nous vous faisons chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.